Coordination Nationale des Enseignants de Français d'Algérie

Entretien du président de la CNEFA

Mohand Outahar, président de la Coordination nationale des enseignants de français d’Algérie (Cnefa) : « Le Maghreb est un carrefour multilinguistique »

Dans cet entretien, Mohand Outahar revient sur la place et l’enseignement accordés à la langue française en Algérie et son statut. La langue française, dit-il d’un ton confiant, alors que ses pairs affichent ouvertement leur nostalgie, se normalise avec son vis-à-vis la langue arabe. Mieux encore, Mohand Outahar revendique de classer le Maghreb en tant que carrefour multilinguistique. La mondialisation, le contexte actuel l’exigent, explique-t-il. C’est dans cette perspective que la Cnefa et l’Atef (Association tunisienne des enseignants de français) ont co-organisé, à Hammamet (Tunisie) du 14 au 17 août derniers, un séminaire régional durant lequel des enseignants, des pédagogues et des inspecteurs sont montés au pupitre pour partager leurs expériences et proposer que les programmes et manuels scolaires soient utilisés à bon escient par les professeurs, sans pour cela qu’ils omettent d’innover et de proposer à leurs apprenants des activités artistiques et culturelles comme le théâtre, l’écran, la poésie… La langue française représente en Algérie, et dans les pays du Maghreb, beaucoup plus une langue seconde qu’une langue étrangère. Son enseignement ne doit pas se suffire d’une simple exécution des programmes officiels. L’enseignant, l’enseignante, a la latitude, et doit même, en prenant certaines libertés, de confectionner des cours correspondant à la réalité de la classe dont ils ont la charge. La Cnefa est une association corporatiste, à la limite ségrégationniste, créée en 2013. Elle réunit certes des enseignants principalement mais aussi des sympathisants. L’écrivain et poète d’expression française Ahmed Bencherif (Aïn Sefra, Naâma) y adhère.
 
Reporters : Pouvez-vous présenter brièvement la Cnefa ? Est-ce un syndicat ou une force de propositions ?
Mohand Outahar : La Coordination nationale des enseignants de français d’Algérie (Cnefa), dont la mission est de regrouper les professionnels de la langue française, est aussi un cercle de savoir et de discussion, où convergent des initiatives et des compétences qui ne verseront que dans l’intérêt de l’apprenant et, a priori, l’Ecole algérienne. La Cnefa se veut également un espace d’échanges et de concertation sur les différents plans pédagogique, culturel, relationnel et même comportemental, où se conjuguent les bonnes volontés, les expériences du terrain, dans une vision purement associative. Pour cela, notre élan est de jouer pleinement le rôle de partenaire efficace et utile avec les différentes instances, notamment de l’éducation, de la culture et éventuellement d’autres. 
 
Quels sont les objectifs de la Cnefa ?
Les objectifs de la Coordination nationale des enseignants de français d’Algérie sont de fédérer l’ensemble des enseignants de français à travers l’Algérie et à faire partager leurs expériences et difficultés rencontrées sur le terrain, contribuer à l’amélioration de l’enseignement du français dans les établissements scolaires, en mettant en place des formations sous forme de journées d’études, de séminaires et d’universités d’été, organiser des colloques et des rencontres culturelles et pédagogiques diverses. Notre Coordination a déjà organisé des activités en Algérie comme le séminaire régional, qui s’est tenu dans la ville d’El Bayadh les 24 et 25 mai 2013, les assises de la Cnefa à Melbou (Béjaïa) les 5 et 6 juillet 2013, ainsi qu’une formation intensive sur la pratique du français, langue étrangère (FLE) en classe de langue, et sur la gestion au quotidien d’une association (à la Munatec de Tipasa). Notre coordination a également organisé une rencontre portant sur l’innovation pédagogique, en décembre 2014, au sud de l’Algérie. Notre combat ne s’arrête pas là puisque pour l’année en cours nous avons un programme d’activités aussi riche que varié. Le volet culturel n’est pas omis et a une grande place dans notre programme. Pour l’année en cours, nous nous sommes fixés d’organiser, entre autres, la seconde édition du Festival de poésies d’enfant à Alger.
 
Réformes, langues étrangères, manuels et programmes scolaires, quelle est la place du français dans le système éducatif en Algérie ?
C’est une question qui nécessite un long débat. Le FLE (français langue étrangère) est une langue qui a un statut privilégié par rapport aux autres langues, telle l’anglais. Le français était, avant la réforme de 2003, une langue d’enseignement des matières scientifiques et technologiques. Cependant, et en dépit de l’arabisation, le français a le privilège d’être maintenu en tant que première langue étrangère enseignée en Algérie, à commencer par le cycle primaire. Elle est restée la langue d’enseignement des mathématiques et des sciences naturelles. En fait, c’est beaucoup plus une langue seconde qu’une langue étrangère. A l’université, c’est la langue d’enseignement des filières scientifiques, technologiques. C’est la première langue étrangère enseignée en Algérie. 
 
Le français, mais pas seulement, l’Ecole algérienne ne forme pas assez. Est-ce un constat avéré ? Que proposez-vous pour y remédier ?
Il est évident que l’enseignement du français perd du terrain dans toute l’Algérie. C’est un constat qui a été fait après études. Ce sont des statistiques. Les raisons sont simples. Il y a, d’abord, un départ massif des enseignants à la retraite. Il y a également le fait que les étudiants ne choisissent plus la filière de professeur. Il y a donc un manque flagrant d’enseignants de français au Sud et à l’intérieur du pays. Nous constatons amèrement que dans certaines wilayas, les élèves ne subissent pas l’épreuve de français aux à l’examen de 5e, BEM et baccalauréat, parce que tout simplement ils n’ont pas été initiés à cette langue.
 
En tant que pédagogue, vous proposez une approche maghrébine, voire méditerranéenne de l’apprentissage du français : séminaires, ateliers, formations… Pouvez-vous nous en dire plus ?
Grâce à cette coordination, nous sensibilisons les enseignants afin qu’ils participent à des cycles de formation. Nous allons même dans les universités afin de motiver les étudiants à opter pour la carrière de professeur de français à leur tour. L’on peut certes évoquer le conflit idéologique des années 1970/1980, où la tentative de remplacer le français par l’anglais a échoué. En fait, le français n’est plus considéré comme une langue du colonisateur. Il se mélange parfaitement à l’arabe parlé de tous les jours et dans l’usage. Cette langue est très présente dans la bouche de nos officiels. Parvenus au cycle universitaire, les étudiants se documentent dans des ouvrages en français, plus particulièrement ceux qui souhaitent poursuivre des études, en France ou au Canada. Le rapport lui-même à la langue française se normalise pour les étudiants qui souhaitent poursuivre des études en France. Les deux langues arabe et français ne sont plus prisonnières l’une de l’autre. La vraie problématique se résume dans la reconnaissance du Maghreb comme carrefour multilinguistique. Il faut admettre que les entités maghrébines ne sont plus aussi fortes depuis le Moyen-Age. En vérité, l’on ne doit pas apprendre une ou deux langues, mais plusieurs langues. Il y a ce souci de faire en sorte que les citoyens de souche s’ouvrent vers l’extérieur. La mondialisation, le contexte l’exigent. Quand vous avez des Chinois, par exemple, qui viennent travailler en Algérie, le citoyen de souche a besoin de communiquer avec eux. Idem pour les autres. 

 

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